Virgine Hélène Porgès, donatrice à l'origine des collections du musée du Noyonnais

Virginie Hélène Porgès (1864-1930), donatrice à l’origine des collections du musée du Noyonnais

Il y a 90 ans, un comité se constitua sous la présidence de Jules Magnier, conseiller général et maire de Noyon, dans le but de fonder un musée municipal dans l’ancien évêché de Noyon. A cette occasion, les héritiers de Virginie Hélène Porgès, mondaine parisienne et peintre néophyte offrirent à la Ville des tapisseries, des tableaux et autres objets qu’elle avait voulu remettre à une ville des régions dévastées par la Première Guerre mondiale.

Quelques éléments biographiques permettront d’approfondir nos connaissances sur cette donatrice à l’origine des collections du musée du Noyonnais.

Une jeune femme issue d’une riche bourgeoisie pragoise

Fille de Charles Carl Porgès (1836-1906), docteur en Sciences de l'Université de Heidelberg issu d’une importante lignée de commerçants établie à Prague puis à Vienne depuis plusieurs générations et d’Hélène Schnapper (1829-1906), Virginie Hélène Porgès naquit le 1er février 1864, à Paris. 


Sa sœur, Adèle vit le jour le 5 octobre 1860 et Clarisse le 15 juin 1868. (1)

Virginie Hélène Porgès. Photographie de l'atelier photographique Benque, sise 33 rue Boissy d'Anglas, Paris 8ème. Collection Archives familiales (DR)

La famille Porgès s’installa en France en 1860, date à laquelle Charles Porgès obtenait la naturalisation. L’accélération de l’internationalisation du marché de l’argent et des échanges commerciaux expliqua ces nombreuses migrations dans l’establishment juif. Charles Porgès reprit, à Paris, sa carrière de banquier et d'homme d'affaires. Il fonda la maison de la banque Charles Porgès, qui en 1881 s’était transformée en Banque centrale du commerce et de l’industrie. En 1882, il créa la Compagnie Continentale Edison, compagnie exploitant tout ce qui a rapport à l’électricité et principalement des brevets délivrés Thomas Edison, dont il devint président. Il administra la Compagnie française de diamants du cap de Bonne-Espérance fondée par un de ses cousins, le négociant Jules Porgès, surnommé « le roi du diamant » installé comme lui en France. La société acquit de multiples concessions en Afrique du Sud, exploitant et revendant la production de nombreuses mines comme De Beers, Dutoitspan, ou Kimberley en Afrique du Sud. 


Ces sociétés employaient, en France, soit à l’usine d’Ivry, soit dans leurs différentes installations, un personnel de plus de 500 ouvriers. En 1884, Charles Porgès fut nommé chevalier de la légion d’honneur.


La famille Porgès s’installa d’abord au 81 rue Monceau dans le 8e arrondissement de Paris, puis au 20 rue du Berri, à quelques pas de l’avenue des Champs-Elysées. Cette installation s’inscrivait dans une concentration spatiale marquée de la bourgeoisie juive dans ces quartiers centraux. 

C’est à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) que les époux Porgès s'installèrent pour profiter de la campagne, au 26 rue Dailly dans le « château de Pélican » ou pavillon « Lescoeur », perché sur la colline et proche du Pont de Saint-Cloud. La maison d’époque Napoléon III bénéficie d’une vue panoramique remarquable sur le bois de Boulogne et l’ouest parisien prisé par la bourgeoisie. 


Charles Porgès devint conseiller municipal de la commune. Il fut aussi proche de Léon Gambetta.

Hélène Schnapper épouse Porgès. Collection particulière.

Charles Porgès. Collection particulière.

Construit à la fin du XIXe siècle pour Annie Moray, veuve de John Dowson, le pavillon est acheté par Charles Porgès. André Chevrillon, son gendre, habite la demeure à son tour avec sa famille de 1906 à 1940. L’ADAPH, association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, l’achète en 1950, pour déménager en 2010. Démontée pierre par pierre dès 2016 pour permettre le renforcement par micropieux sous la voie, le pavillon est reconstruit à son emplacement d'origine dans le cadre d’un programme immobilier voisin. Photographie : Ville de Saint-Cloud.

En 1889, la mère d’Hélène Porgès obtint la nationalité française.

 

Un mariage mondain dans la tradition juive


Hélène Porgès épousa le 17 novembre 1891 Albert Wahl, ingénieur alsacien des constructions navales, fils de banquier. La cérémonie se déroula à la Mairie du 8ème arrondissement de Paris. A 14h, le mariage religieux eut lieu à la Grande synagogue de la Victoire.


Le choix de la synagogue découlait de l’observation d’un marquage social des diverses synagogues parisiennes à la fin du XIXème siècle. La synagogue de la Victoire rassemblait, en effet, « la bourgeoisie aisée des quartiers commerçants », comme l’annonçaient de nombreux annuaires mondains.

Hélène Porgès fit appel comme premier témoin à Henri Alexandre baron Gérard, député, conseiller général du Calvaldos et administrateur de la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, son cousin. Le second témoin était un ami proche de la famille Porgès : il s’agissait de Jean-Jacques Henner, peintre et membre de l’Institut, officier de la légion d’honneur. Albert Wahl choisit, de son côté, Emile Ernest Clément, directeur des constructions navales, officier de la légion d’honneur et Achille Katz, substitut au tribunal de la Seine, son beau-frère.

Les témoins cumulaient ainsi l’appartenance au réseau de parenté et au monde professionnel du mari.

Anonyme, « Reproduction d’un dessin de l’intérieur de la Synagogue, 44 rue de la Victoire, 9ème arrondissement, Paris », 2ème moitié du XIXème siècle © Paris-Musées/Carnavalet

Acte de mariage d’Hélène Porgès et d’Albert Wahl le 17 novembre 1891 à la Mairie du 8ème arrondissement de Paris. © Mairie de Paris


Ce mariage prit fin le 7 mai 1903.

 

Hélène Porgès et les artistes

Hélène Porgès s’était mise à la peinture dès 1874 et suivait les cours de Jean-Jacques Henner et de Carolus-Duran. Ces deux peintres en vogue sous la IIIème République avaient fondé un atelier pour dames afin de pallier l’interdiction faite aux femmes de suivre l’enseignement des beaux-arts.[2] Elle exposa des études, ébauches de peintures, au Salon des artistes français de 1886 à 1891 [3], date de son mariage, qui semble avoir mis un terme à sa modeste carrière. 

Catalogue des œuvres exposées au palais des Champs-Elysées en 1889. © Bibliothèque nationale de France. Hélène Porgès exposa « Jeune fille, étude » en 1886, « Fleur de pervenche, étude » en 1887, « Paulette, étude » en 1888, « Etude de jeune fille, étude » et « Miriam, étude » en 1889, « Sur le balcon, étude » en 1890 et « Une volonté, portrait de prêtre » en 1891


La famille Porgès fut très proche de Henner qui avait réalisé plusieurs portraits de ses membres. Le père, Charles Porgès, s'était fait portraiturer à trois reprises [4]. Deux portraits existent de son épouse [5]. Adèle Porgès, devenue Madame Ferdinand Dreyfus avait aussi posé deux fois pour Jean-Jacques Henner [6].


Henner réalisa quatre portraits de Hélène Porgès sur une chronologie étalée : 1881, 1887, 1893/95 et 1901 selon l’agenda du peintre conservé au musée parisien [7]. On peut y lire que Henner était très proche de la famille Porgès chez qui il allait fréquemment déjeuner et dîner dès les années 1880 (souvent le dimanche midi, à partir de 1895 jusqu’en 1904).

« Portrait Virginie Hélène Porgès, plus tard Madame Wahl », par Jean-Jacques Henner, 1894. Collection particulière. « A sa chère Madame Wahl/souvenir affectueux/JJ Henner »

Madame Hélène Porgès, par Jean-Jacques Henner, 1895. Musée d'Orsay.

Vers l’âge de 16 ans, Hélène Porgès rencontra Auguste Rodin par l’intermédiaire de son amie Dorothy Tennant, élève de Jean-Jacques Henner également. Dans une lettre adressée à Léonce Bénédite, premier conservateur du musée Rodin, elle racontait cet événement : « Sachant mon immense admiration pour le grand maître […] Lady Stanley (alors Dorothy Tennant) me présenta à Rodin et mon enthousiasme d’enfant lui fit plaisir. Hélas, je ne le revis pas avant dix ans, car il ne connaissait pas mes parents et dans ce temps-là, les jeunes filles du monde ne faisaient pas ce qu’elles voulaient, mais quel accueil quand je pus enfin le voir ! » [8].

 

Cette rencontre n’eut lieu, en effet, qu’en 1893, date du premier dîner avec le sculpteur dans le pavillon familial de Saint-Cloud avec Raymond Poincaré, alors ministre de l’Instruction publique. Ce fut un vrai coup de foudre amical, surtout du point de vue d’Hélène Porgès, flattée de l’intérêt d’Auguste Rodin pour la « jeune femme très ordinaire » qu’elle se sentait être. S’ouvrit alors une relation épistolaire plus ou moins régulière.

Elle invita Auguste Rodin en août 1895 à la rejoindre une journée à Saint Moritz, dans les Alpes suisses, où elle séjournait avec des amis dont Dorothy Tennant et l’écrivain André Hallays. Auguste Rodin, abattu moralement suite à sa rupture avec Camille Claudel, accepta volontiers d’autant plus qu’il projetait d’organiser une exposition à Genève. Hélène Porgès fut ravie alors de jouer le rôle d’amie providentielle et de prendre, sans le savoir, le relais de Léontine Dewavrin, une autre correspondante du sculpteur [9].


Elle projetait avec lui d’autres excursions, comme suspendue à un fil d’espoir. Les lettres évoquent l’admiration des cathédrales, de l’Antiquité, etc. Plus tard, elle imagine aussi une croisière sur le Nil. Comme beaucoup d’autres femmes, Hélène Porgès voulait nouer une relation intense avec Rodin. Elle se sentait seule, son mari n’étant jamais mentionné dans sa correspondance avec Rodin. Elle ne cessait de demander à Rodin qu’il ne l’oubliât pas, car il lui écrivait moins souvent qu’elle. Lorsqu’elle déménagea du 3 rue de Castiglione à quelques mètres du jardin des Tuileries au 33 avenue de Champs-Elysées, elle demanda à Rodin de lui rendre visite le plus souvent possible. Pour lui plaire, elle lui promit de lui montrer l’avancée de son travail. « Malheureusement, il n’y a pas d’atelier. J’ai un beau balcon d’où la vue est superbe. Je travaillerai dans une pièce au nord, où il n’y a pas de reflets. » raconte-t-elle. Elle signait alors affectueusement « votre petite amie Hélène Wahl ». Elle exigeait de Rodin de plus en plus de lettres. Ce dernier entreprit de refuser systématiquement tout en la rassurant : « L’amitié est un sentiment très sûr, il n’a pas besoin à tout instant de se révéler. S’il est véritable, il sait attendre ». Dès 1896, Rodin écrivit davantage à son amie, pour le plus grand plaisir d’Hélène Porgès. Il lui écrivit l’une des plus belles lettres de leur correspondance :


« Chère Madame, 

J’espère être sorti de mes ennuis car je travaille et dors. Je sens que je suis heureux, ou que je vais l’être, car la jeunesse me reprend. J’ai la tête pleine d’enthousiasme et les tyranniques passions me paraissent bien passées. Je n’en aime pas moins les femmes, mais d’une autre façon, et je puis dire comme mes sœurs divines, et dont j’admire toujours la fine ciselure du corps et du cœur. Le grand fondeur qui nous a faits vous a certainement mieux patinée que nous. Je suis reconnaissant à mon amie d’être venue, et munie d’une bonne nouvelle pour le sculpteur. Vous avez eu du plaisir à me l’annoncer, et je vous en sais gré, mais du reste vous ouvrez un compte où je resterai votre débiteur, probablement malgré tout mon bon vouloir. Je vais tous les matins admirer un pays nouveau, et les brouillards à cet endroit sont admirables. Des chemins de fer desservant à chaque instant de fumées, petits brouillards aussi. Et puis, l’infini qui se sent. Et dire que l’on peut peindre cela, que l’on peut en entraînant son talent. Avez-vous travaillé ? Allez-vous mieux cette semaine ? Je vous envoie mes sympathies vives et l’expression de mon respectueux dévouement ».


Alors qu’elle était en proie à des crises de mélancolie, Rodin l’encouragea à travailler sur ses croquis. En 1904, un an après son divorce, elle sollicita Rodin pour faire son portrait. C’était sans doute un excellent prétexte pour retrouver sa compagnie, comme lorsqu’il avait fait des esquisses d’après ses mains. Elle dut attendre encore dix ans avant d’obtenir quelques séances de pose, années pendant lesquelles elle lui reprochait amèrement de s’occuper des Américaines plutôt que d’elle. En 1914, le buste tant attendu fut à peine commencé, mais jamais achevé [10].

En-tête du papier à lettre. Musée Jean-Jacques Henner


Le sculpteur Denis Puech aimait beaucoup le portrait de Jean-Jacques Henner qu’il avait vu chez la famille Wahl en 1901 [11]. Ce portrait fut exposé au salon des artistes français en 1902 . Sans doute peiné par Auguste Rodin qu’elle ne revit jamais, Hélène Porgès sollicita Denis Puech pour réaliser son buste.

Buste d’Hélène Porgès signé Denis Puech, Paris, 1922. Collection : Musée du Noyonnais. Le buste est aujourd’hui conservé au conservatoire-maison des arts de la Ville de Noyon. Photographie : Fabien Crinon [12].

Buste d’Hélène Porgès par Paul Maximilien Landowski, 1927. Collection : Musée du Noyonnais. Photographie : Fabien Crinon


Hélène Porgès fit appel à Paul Maximilien Landowski en 1927 pour un nouveau buste.


En 1922, l'Académie française créa un prix Hélène Porgès destiné à récompenser tous les quatre ans un ouvrage de littérature et de philosophie « de nature à développer chez les écoliers de France l'amour de leur patrie ». (Ce prix a subsisté jusqu'en 1984). Œuvre de résilience patriotique en réaction aux destructions causées par la Première Guerre mondiale, le prix récompensait l'auteur du meilleur ouvrage sur le conflit, puis dès 1926, elle souhaita l'élargir à tous les publics.


Une importante collection privée


Le 20 septembre 1930, depuis la Maison de santé, 25 rue Pierre Cherest à Neuilly-sur-Seine, elle rédigea un testament olographe, déposé au rang des minutes de Me Léon Bucaille, notaire à Paris [13]. Celui-ci concernait un don à la Bibliothèque nationale de France : « Je lègue à la Bibliothèque nationale de France pour être publiés dans le laps de temps prévu par la loi et dépendant de la date de la mort des écrivains et auteurs, les documents suivants :


« Un manuscrit entièrement autographe d’Anatole France (la 1ère version de l’Histoire de Jeanne d’Arc), des manuscrits autographes d’articles de J. Lemaître, de Reyer, le manuscrit du livre sur Marivaux et le manuscrit de la conférence sur Henri Heine par André Hallays.


Environ 50 lettres de Raymond Poincaré, environ autant d’André Hallays (elles ont toutes été triées), un beau dessin de Rodin, un dessin de Reamakers, un dessin (tête de toute jeune fille d’Henner), je mets à l’acceptation de ce don que toutes les lettres et manuscrits seront publiées. »


Elle nomma également une personne pour gérer sa future succession : « Je désigne par la présente Charles Ferdinand Dreyfus comme mon exécuteur testamentaire tant sur ce qui concerne les dispositions testamentaires que j’ai prises jusqu’à ce jour, que celles que je pourrai prendre dans l’avenir ».


Décédée le 21 octobre 1930 à la Maison de santé de Neuilly-sur-Seine, Hélène Porgès fut inhumée au cimetière du Père Lachaise. Une épitaphe d'Henry Becque, dramaturge français du XIXème siècle, est gravée sur sa sépulture :

Le temps et ses leçons amères

Ne nous guérissent qu’à moitié

Nous reconnaissons nos chimères

Sans pouvoir les prendre en pitié

Un jour, après des mots sans trêve

Nous nous arrêtons consternés

Et puis nous reprenons nos rêves

Que leur histoire a condamnés

Artistes, quel sort est le nôtre !

Nous courons d’une erreur à l’autre

Têtes folles et cœurs blessés

Dans ce besoin d’amour immense,

Une voix nous dit : « Recommence »

Quand l’autre nous dit : « C’est assez »


Henri Becque


Sépulture d'Hélène Porgès au cimetière du Père Lachaise. Division 55, chemin du Chevet, line 3. Photographie : Fabien Crinon

Les héritiers, Louis André Chevrillon, docteur en lettres et membre de l’Académie française et son épouse Clarisse Porgès ainsi que Jacques Ferdinand-Dreyfus, haut fonctionne au ministère du Travail et Charles Ferdinand-Dreyfus, qui créa la ferme d'apprentissage de Bel Air, furent rassemblés en l’étude de Me Bucaille. 


Le 19 décembre suivant, dans les sous-sol du Crédit commercial de France situé au 103 avenue des Champs Elysées, Charles Ferdinand-Dreyfus ouvrit avec le notaire le coffre d’Hélène Porgès en présence de Monsieur Baudoin, commissaire-priseur. Parmi les éléments inventoriés, plusieurs objets sont à noter : une miniature ovale par Daffinger de femme en buste prisée 100 francs, un petit plâtre d’un homme accoudé sur un tronc d’arbre d’après Rodin prisé 200 francs et de très nombreux bijoux [14].

Louis André Chevrillon et son épouse Clarisse Julie Porgès, sœur d’Hélène Porgès. Collection particulière.


Dans la continuation de l’inventaire, au début de l’année 1931, fut dressée la liste des biens d’Hélène Porgès au 122 avenue des Champs Elysées. 

Minutes et répertoires du notaire Léon Émile Bucaille (étude XXXIV), MC/ET/XXXIV/1800, Archives nationales de France Photographie : Fabien Crinon


Il ressort de cet inventaire prisé une collection privée particulièrement exceptionnelle. La pratique du collectionnisme était ancienne chez les Porgès. Déjà son père, Charles Porgès, s’adonnait au négoce de toutes sortes d’objets d’art. Hélène Porgès réunit meubles, peintures, sculptures et objets d’art et notamment du mobilier de style Louis XVI, des tapisseries du XVIIIe siècle : Mercure et le Triomphe de Vénus, un tableau de Jan Van Goyen Le Port de Nimègue et deux portraits par Jean-Jacques Henner.


La localisation des établissements bancaires dépositaires des comptes de la défunte atteste le caractère international de sa fortune. Les établissements couvrent les pays européens : France, Italie, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Grande-Bretagne mais aussi les Etats-Unis. Cette carte des établissements se superpose presque à celle des investissements.


Les investissements dans les compagnies des chemins de fer sont très importants avec les Compagnies de Buenos-Ayres, Danube Save Adriatique, du Nord, du Maroc, de Rosario à Puerto-Balgrano, Smyrne à Cassaba, de l’Est, de Santa Fé... Les titres liés à la distribution d’énergie sont aussi présents (Compagnie d’Energie du Maroc, Société d’Energie Electrique du Littoral méditerranéen, Compagnie d’électricité de Paris…). Ils montrent le choix de se tourner vers les secteurs industriels novateurs. Cependant, les secteurs économiques traditionnels sont encore très présents : les valeurs mobilières qui se décomposent en actions, obligations : au Crédit foncier de France, à la Banque de l’Algérie, de l’Indochine, d’Egypte, hypothécaire de France Argentine, du Mexique, Ottomane, des pays de l’Europe centrale, transatlantique, de l’Union parisienne… La part des valeurs mobilières étrangères est donc fortement supérieure à la part des valeurs françaises, ce qui est très fréquent dans les grandes familles de banquiers, pour beaucoup d’origine étrangère [15].

 

Un legs exceptionnel à la Ville de Noyon


Les héritiers d’Hélène Porgès, représentés par son neveu, Charles Ferdinand Dreyfus, offrirent à la Ville une partie de sa collection d’œuvres d’art qu’elle avait voulu remettre à une ville des régions dévastées par la Première Guerre mondiale.


Lors de la séance du conseil municipal du 15 février 1931, Jules Magnier, conseiller général et maire de Noyon, exposa alors les conditions de cet acte de générosité : « grâce à l’aimable intervention de Monsieur Girodie, conservateur du musée de Blérancourt, la Ville de Noyon a été choisie pour recueillir le bénéfice par Monsieur Charles Ferdinand Dreyfus de tapisseries et objets d’arts ayant appartenu à Hélène Porgès, de Paris, décédée en exprimant le désir que ces objets soient attribués à un musée des régions dévastées qui aurait à former (sic) une salle portant le nom de la donatrice ».


Son legs fut d’abord exposé à l’hôtel de ville, du 14 mai au 30 septembre 1931, lors d’une exposition rétrospective. La liste des objets révèle l’ampleur du don :


1. Buste d’Hélène Porgès, terre cuite, par Denis Puech 

2. Buste d’Hélène Porgès, terre cuite, de Paul Landowski 

3.  Vue d’une ville. Tapisserie de Bruxelles, XVIIe siècle

4. Mercure. Tapisserie des Flandres, XVIIIe siècle 

5. Le triomphe de Vénus. Tapisserie des Flandres, XVIIIe siècle 

Mercure. Tapisserie des Flandres, XVIIIe siècle. Collection : Musée du Noyonnais. La tapisserie est aujourd’hui conservée dans la salle des mariages de l’hôtel de ville. Photographie : Fabien Crinon

Le triomphe de Vénus. Tapisserie des Flandres, XVIIIe siècle. Collection : Musée du Noyonnais. La tapisserie est aujourd’hui conservée dans la salle des mariages de l’hôtel de ville. Photographie : Fabien Crinon


6. Deux tableaux en broderie, travail italien, XVIIe siècle 

7. Madona Laura, buste de jeune femme, peinture italienne, fin XVe siècle, cadre néo-Renaissance. 

8. Portrait de jeune femme, pastel XVIIIe siècle, dans un cadre ancien doré et sculpté. Anonyme. 

Madona Laura, buste de jeune femme, peinture italienne, fin XVe siècle, cadre néo-Renaissance. Collection : Musée du Noyonnais

9. Buste de jeune femme parée de roses, gravure aux trois crayons de Gilles Demarteau, d’après boucher, encadrée. 

10. Les Grâces, désarmant l’amour endormi (école française), médaillon rond, terre cuite, signé A.S. 1764, encadré.

Portrait d'une jeune femme. Gravure de Gilles Demarteau. Collection : Musée du Noyonnais.


12. Les Grâces, désarmant l’amour endormi (école française), médaillon rond, terre cuite, signé A.S. 1764, encadré.

11. Meuble à deux corps, marqueterie de bois de placage. Travail italien de la fin du XVIe siècle. (acheté par Charles Porgès à Florence le 15 mars 1880 lors de la vente de la collection Nicolas Demidoff au palais San Donato pour un montant de 2 700 lires italiennes).

12. Petite glace, cadre bois sculpté, ancien travail italien. 

Cabinet italien, marqueterie en bois, XVIe siècle. Collection : Musée du Noyonnais. Le meuble est aujourd’hui conservé dans la salle des mariages de l’hôtel de ville. Photographie : Fabien Crinon

13. Pendule et socle, applique bois doré et sculpté, décor cariatides, rinceaux, amours et chimères, ancien travail italien du XVIIe siècle.

14. Deux candélabres bronze doré, femmes. Epoque Louis XVI.

15. Coffret bois et fer, XVe siècle

16. Table-vitrine contenant 38 médailles françaises de la fin du XIXe siècle (Oscar Roty, Jules-Clément Chaplain, etc.) 


Horloge, XVIIe siècle. Collection : Musée du Noyonnais. L’horloge est aujourd’hui conservée dans la salle des mariages de l’hôtel de ville. Photographie : Fabien Crinon


L’exposition fut visitée le 14 juillet 1931 par Maurice Petsche, sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts qui, par sa présence, donnait ainsi une reconnaissance officielle au musée naissant. Dans le Bulletin des musées de France de novembre 1931, André Girodie, conservateur du musée franco-américain de Blérancourt décrivit l’exposition : « Dans le même salon, avait été exposé le legs des héritiers de Madame Hélène Porgès : meubles, tapisseries, broderies, médailles, peintures, sculptures… Au centre de la grande galerie de l’exposition [le couloir de la salle des mariages], le buste de la donatrice, œuvre de Landowski, était placé entre deux des tapisseries, œuvres flamandes du XVIIIe siècle : Mercure et Vénus qui orneront bientôt la salle Hélène Porgès, au musée du Noyonnais. »


En février 2021, pour fêter les 90 ans du legs d’Hélène Porgès, les Amis du musée du Noyonnais formulent le souhait d’attribuer le nom de la donatrice à une salle du musée du Noyonnais.  La salle Virginie Hélène Porgès est inaugurée le 10 décembre en présence des descendants de Clarisse et d'Adèle Porgès (sœurs de Virginie Hélène Porgès).


Fabien Crinon, président des Amis du musée du Noyonnais et secrétaire de la Société historique de Noyon




Article publié dans les Etudes noyonnaises en mars 2021 et mis à jour en octobre 2021 grâce aux informations communiquées par Jacques Gerstenkorn, arrière-petit fils d'Adèle Porgès (sœur de Virginie Hélène Porgès).  Nous lui adressons nos plus sincères remerciements.



Notes :

[1] Etat civil des archives de Paris.

[2] Christina Buley-Uribe, Mes sœurs divines. 99 femmes de l'entourage de Rodin, Editions du relief, 2013.

[3] Informations transmises par Maeva Abillard, conservatrice au musée national Jean-Jacques Henner. Qu’elle en soit vivement remerciée.

[4] Un des tableaux fut reproduit dans La Gazette de l’Hôtel Drouot, n°36, 10 décembre 1997, p.153. Les deux autres ne sont pas connus.

[5] Un double portrait avec une de ses filles et un portrait seule existent. Leur emplacement actuel est inconnu.

[6] Les portraits d’Adèle Porgès furent reproduits dans La Gazette de l’Hôtel Drouot, n°36, 10 décembre 1997, p.153.

[7] Nous ne connaissons que deux tableaux. Un troisième tableau intitulé « Judith » représente peut-être Hélène Porgès.

[8] Christina Buley-Uribe, Mes sœurs divines. 99 femmes de l'entourage de Rodin, Editions du relief, 2013.

[9] Ruth Butler, Rodin: la solitude du génie, Gallimard, 1998.

[10] Christina Buley-Uribe, Mes soeurs divines. 99 femmes de l'entourage de Rodin, Editions du relief, 2013.

[11] Catalogue illustré du Salon de 1902, Société des artistes français. Bibliothèque nationale de France.

[12] Merci à l’équipe des musées de Noyon pour l’accès aux réserves du musée du Noyonnais.

[13] Dépôt judicaire du testament olographe de Madame Porgès, MC/ET/XXXIV/1798, Archives nationales de France .

[14] Le musée Rodin conserve dans ses réserves un moulage de la main d'Hélène Porgès. Merci à Véronique Mattiussi, cheffe du service de la Recherche du musée Rodin pour ces informations.

[15] Cyril Grange, Une élite parisienne: Les familles de la grande bourgeoisie juive (1870-1939), CNRS, 2016.

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